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Fruit du travail : Une nouvelle écrite par un jeune homme du lycée dans le cadre du Concours de nouvelles de la ville de Saint Etienne

Par CECILE PEYRE, publié le mardi 7 juin 2022 17:28 - Mis à jour le mardi 7 juin 2022 17:28
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Fruit du travail
I
- Maman !
- Oui Hana ?
- J'ai une question maman.
- Je t'écoute ma chérie.
- C'est quoi la mort ? Pourquoi on meurt ?
- La mort ? C'est assez difficile à expliquer, mais...
- Pourquoi ?
- La mort est naturelle Hana.
- Naturelle ?
- Cela signifie que cela concerne n'importe quelle vie sur Terre.
- Les animaux meurent ?
- En effet, et aussi les insectes et les végétaux.
- Qu'est-ce que je peux faire maman ?
- Tu dois vivre tes rêves réalisés dans ce monde qui est malade.
II
Pourquoi est-ce que je pense cela à un moment pareil ? Pourquoi je pense à ce souvenir alors que je
ne suis plus capable de faire grand chose ? Franchement, je n'ai pas le temps de m'abêtir à de
pareilles gamineries. Je ne sais même pas si je dois encore la garder. Il fait si froid dehors, je ne
peux pas sortir. Si je sors, je meurs.
Pourtant, dehors, le jardin est en train de mourir. Alors que tout ce qui nous entoure est devenu un
cauchemar destructeur, la vie s'efforce de vivre. Maintenant, tout se meurt. Je ne suis pas
indifférente à cette étape. La neige tombe, mais elle n'est pas celle que l'on connaît. Cette cendre est
suffocante, elle est maladive.
III
Lorsque je me réveille, je constate que le jardin n'attendra pas plus longtemps. Je prends mes gants
en laine, mes outils recyclables, mon chapeau tricoté, et je sors avec la recette du bonheur. Je répare
ma brouette. Il lui faut un petit rajout de terre cuite, c'est avec ça que j'ai fabriquée cet engin.
Chaque journée se répète ainsi : je cultive les plantations, je bêche les légumes, je retourne la terre,
je malaxe la paille, j'arrose les pousses, je nourris les arbres, je creuse et je sème les graines.
Ainsi, depuis que je vis au sein de la nature, je partage la vie de cette petite et immense population.
Je vois leurs naissances. Je participe à leurs enfances. Je comprends leurs vieillissements. J'assiste,
impuissante, à leurs morts.
IV
Décidément, le Soleil s'amuse beaucoup aujourd'hui. La sueur coule sur ma peau, mais au moins,
les fruits sont bien nourris. Je leur donne un peu d'eau, mais pas quand le Soleil est au zénith ! En
plus, je leurs sers à boire le soir, à l'heure du crépuscule. J'aime beaucoup ce moment de la journée.
La couleur du ciel est magnifique. On y voit du rose vif, tapissé d'orange safran, avec un soupçon de
jaune doré. Avec les nuages en tournevis, mes yeux plongent dans un royaume féerique. En plus, ce
royaume ne possède aucune frontière. Le jardin et ma cabane sont si solitaires, face à l'immensité
de l'Univers.
V
Il faut ramasser les cadavres. Une pelle suffira à ramasser ces feuilles vidées de leur chlorophylle.
Bien sûr, c'est joli les couleurs de ces feuilles, mais il a fallu qu'elles meurent. On ne peut rien faire.
Ceci étant dit, je réutilise ces feuilles mortes.
Au lieu de les ignorer, je leur donne une nouvelle vie : les chenilles, les escargots et les limaces
raffolent de ces feuilles. Certaines journées humides, si j'en aperçois, je vois qu'elles reprennent des
couleurs.
Je ne comprends pas pourquoi des gens détestent la pluie. On a pourtant besoin de ces infimes
molécules d'eau. Si ils ne veulent plus boire de l'eau, c'est la dernière chose qu'ils feront dans leur
vie.
VI
Chouette ! La terre grouille de vers de terre ! Le sol est donc fertile. Des personnes pensent que c'est
dégoûtant, mais je ne comprends pas pourquoi. Les gens sont drôlement étranges. Aujourd'hui, je
mange des épinards au repas de l'heure de pointe. Dire que pas mal de mes congénères
accompagnent leurs épinards avec du beurre. Pas de vache à proximité de ma cabane.
Cette richesse n'est pas indispensable à ma condition. Pourtant, une pointe de beurre donnerait aux
épinards une certaine saveur. C'est vraiment stupide de s'attacher à ce genre de choses.
VII
Ça ne va pas. Ça ne va pas du tout. C'est mystérieux, cette disparition soudaine. Je l'ai constatée aux
alentours de midi : les abeilles de la ruche ne sont pas toutes présentes. Ils manquent quelques
abeilles butineuses.
Je n'aime pas ça. Qu'est-ce qui a bien pu leur arriver ? Bien sûr, il ne s'agit que de quelques
butineuses, mais est-ce que vous imaginez ce que ça signifie ? Ça signifie que la raison de leur
disparition est d'origine humaine !!!! Que dois-je faire ? J'espère qu'il n'est rien arrivé à la reine et à
ses abeilles.
VIII
C'est horrible. On devait faire en sorte que ça n'arrive pas, et je n'arrive pas le croire : il y a de
moins en moins d'abeilles qu'avant. Plus jamais je n'entendrais le bourdonnement de leurs petites
ailes limpides. Plus jamais je ne les verrai butiner les fleurs.
Jamais plus, elles ne répandront leur pollen. Jamais plus, elles ne fabriqueront leur miel. C'est
terminé. Il n'y a plus de retour en arrière possible. Dire que dehors, le soleil s'épuise à faire pousser
le jardin. C'est inutile à présent.
IX
Maudits découpeurs ! Qu'ils aillent se faire voir, eux et leurs créations technologiques. Ils
continuent à avancer. ils réussissent à étendre leur présence. Plus ils continuent à aller de l'avant,
plus ils laissent des blessures inguérissables.
C'est pour ça, que j'ai renoncée à mes congénères : ces atrocités liées aux défauts humains qui
méritent la mort. On n'a pas besoin de tergiverser sur ces comportements. Ils sont condamnables. Ils
sont redevenus primitifs. je sui dégoûtée de tout ceci, mais je ne peux rien faire seule.
X
Ils arrivent. Ils avancent avec un bruit si assourdissant que j'ai l'impression qu'un Cumulonimbus
déchaîne sa colère. Dans un cas comme dans l'autre, on me signifie que je dois dégager. C'est hors
de question. Je ne partirai pas.
Je reste avec la cabane. Je reste avec la forêt. Je reste avec les insectes présents. je reste avec les
animaux présents. Je ne bougerai pas d'un endroit qui n'a pas été souillé par le virus humain. Qu'ils
viennent avec leurs monstres mécaniques, je les attends avec mon pied enraciné dans le sol.
XI
Comment pourrais-je oublier ces évènements vécus ? Aurais-je décidée de faire défiler toute ma vie
en l'espace de quelques secondes ? Si je me souviens bien, Einstein pensait que le temps est
élastique. Albert Einstein pensait qu'on pouvait manipuler le temps comme si c'était de la pâte à
modeler.
Je ne sais pas si il avait raison. Par contre, je sais qu'il disait la vérité sur les abeilles. Vous savez
maintenant pourquoi elles ont disparues : elles sont mortes. J'ai cherché, et je n'ai rien trouvé.
Quand j'ai arrêtée, je suis retourné chez moi. Je suis retournée auprès du jardin.
XII
- Maman, pourquoi on mange des fruits et des légumes?
- Parce que nous en avons besoin Hana. On mange des fruits et des légumes pour ne pas tuer tous
les animaux.
- On n'est pas obligé de manger de la viande alors ?
- Non ma chérie, car nous ne sommes pas indépendants de la Terre.
- Mais, Maman, et les abeilles ?
- Les abeilles ?
- Si elles meurent toutes, qu'est-ce qui nous arrive ?
- Eh bien... En fait... Si les abeilles n'existent plus, tu n'auras plus aucun repas sur la table.
- Plus aucun ?
- Plus aucun.

 

MP ( Paru sous le pseudo Sanau Iyêrre sur WhatPad )